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La Belle Sibérienne

 

LA BELLE SIBERIENNE

Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 2899

de l’hebdomadaire NOUS DEUX (21 Janvier 2003)

A la cour du tzar Pierre le Grand, on s’étonnait toujours des faveurs qui étaient accordées au jeune prince Alexandre Sernine. En effet, Pierre le Grand était un souverain connu pour ses colères et sa violence, on murmurait qu’il battait au fouet ses maîtresses et qu’il avait fait subir à sa première épouse les pires sévices, jusqu’à ce que la malheureuse en périsse. Certains courtisans affirmaient aussi avoir dû accompagner le tzar dans la pénombre des tavernes mal famées, car Pierre le Grand aimait boire avec les gens du peuple, puis se battre à mains nues dans la neige avec les plus vigoureux des serfs. On comprenait donc mal pourquoi ce souverain gigantesque et brutal appréciait autant le prince Sernine, jeune seigneur raffiné, presque précieux, qui voyageait à travers l’Europe pour assouvir sa passion de l’opéra.

-Il arrive de Vienne, marmonna une duchesse, et déjà le tzar l’a invité dans son cabinet secret.

-Sernine doit être le plus flatteur et le plus fourbe des courtisans, répondit aigrement la comtesse Tarassova, que le tzar avait pris pour maîtresse au cours de l’hiver dernier, et qu’il délaissait déjà.

Mais personne, à la cour, n’aurait pu imaginer les propos échangés entre le tzar et son favori. Car si Alexandre Sernine soignait ses allures de musicien frémissant, c’était surtout pour que personne ne s’étonne de ses nombreux voyages à travers l’Europe. En réalité, Alexandre était l’espion le plus subtil et le plus intrépide du tzar, ce qui justifiait parfaitement le temps que les deux hommes passaient à discuter dans le cabinet secret du maître de toutes les Russies.

Pour l’heure toutefois, ils venaient d’achever leur conversation, et Pierre le Grand devait être fort satisfait du compte-rendu que venait de lui faire Alexandre de son voyage à Vienne, car il le félicitait avec une vigoureuse reconnaissance. Puis, il ouvrit une cassette et en sortit une bague frappée aux armes de l’empire, qu’il glissa au doigt de Alexandre :

-Ceci t’aidera à me rappeler mon ancienne reconnaissance et les services que tu m’as rendus, si un jour tu tombais en disgrâce. Tu sais bien qu’il faut toujours se protéger de l’amitié des seigneurs…

Avant de renvoyer Alexandre vers le bal qui se tenait dans la grande salle du palais de Saint Petersbourg, le tzar l’invita à aller jouer :

-Je m’engage à te rembourser toutes les pertes que tu subiras au jeu, ce soir. Je te dois bien cela, à toi qui tiens entre tes mains la paix de toutes les Russies.

Alexandre, qui redoutait le tempérament emporté du tzar, n’osa pas lui répondre que le jeu l’intéressait seulement lorsqu’il avait peur de perdre ses derniers roubles, et qu’il s’ennuierait s’il savait par avance que son souverain rembourserait ses pertes. De sorte qu’il se rendit dans la salle de bal sans trop savoir comment il occuperait sa soirée. Il échangea quelques mots avec son oncle, tout en souriant à une duchesse qui connaissait son statut de favori et qui était prête à tout pour se faire de lui un allié. Mais il oublia tous les personnages qui hantaient cette cour impériale, lorsqu’il se rapprocha des tables de jeu. Car soudain, adossée à une table d’où elle surveillait une partie de pharaon, il reconnut une dame qu’il avait déjà côtoyée à Rome et à Versailles.

-Comment s’appelle cette aristocrate, demanda-t-il sur un ton faussement indifférent à l’un de ses voisins. Celui-ci s’exclama en riant :

-Décidément, vous ne devez pas souvent demeurer à Saint-Petersbourg, si vous ne la connaissez pas encore. Elle se nomme Varvara Vorskaïa et arrive de Sirbosk, de sorte qu’ici on l’appelle plutôt « La Belle Sibérienne ». Car aucune femme à travers toutes les Russies ne pourrait rivaliser avec sa beauté.

Alexandre ne trouva rien à répondre. Depuis plusieurs années, il était fasciné par le charme étrange, presque fascinant, de cette femme qu’il croisait à travers l’Europe. A Versailles, où elle jouait chaque soir du clavecin pour le Régent, on l’avait surnommée la « Reine de la Nuit ». Pour la garder à ses côtés sans susciter de scandale, le Régent avait voulu la fiancer à l’un de ses courtisans, le comte de Merteuil, mais quelques jours plus tard, la « Reine de la Nuit » était soudainement partie, en emportant avec elle les bijoux et l’orfèvrerie du comte… On ne l’avait jamais revue en France. Plus tard, au hasard de ses missions secrètes, Alexandre Sernine avait reconnu la jeune femme à Rome, où elle vivait dans l’ombre d’un prince de l’Eglise. On la surnommait déjà la « Cardinale », et les plus riches seigneurs romains s’efforçaient discrètement de la séduire, jusqu’à ce qu’une fois encore, elle disparaisse subitement. Une rumeur prétendait que, par amour, elle s’était jetée dans les eaux du Tibre, à moins qu’elle n’ait été empoisonnée par un amant jaloux ou par une orgueilleuse rivale ; à vrai dire, Alexandre Sernine n’y avait guère cru. Il savait que les femmes comme elles ne se suicident guère, et il avait conclu de sa brutale disparition que la « Cardinale » avait dû extorquer aux plus riches seigneurs italiens des bijoux ou des œuvres d’art, qu’ils lui avaient négligemment abandonnés dans l’espoir d’obtenir ses faveurs ou son amour…

Cette nuit-là, à Saint-Petersbourg, celle que l’on surnommait désormais la « Belle Sibérienne » était assise tout près d’une table de jeu, et elle en profitait pour suivre d’un œil amusé la partie acharnée qui opposait le grand-duc Vladislas au vieux Boris Czaplinsky. Elle échangeait à la dérobée des regards complices avec le grand-duc, et Alexandre se demanda même si elle ne l’aidait pas à tricher, en lui indiquant par signes les cartes que possédait son adversaire. Pourtant, ce fut finalement Vladislas qui perdit la partie. Le vieux Boris Czaplinsky s’empara avec cupidité de la montagne de pièces d’or qui encombrait leur table, et il se redressait déjà pour quitter la salle, lorsque la Belle Sibérienne lui adressa un sourire.

-Non, protesta intérieurement Alexandre. Elle n’oserait tout de même pas séduire Boris Czaplinsky, après avoir fait les yeux doux à son adversaire durant toute leur partie de cartes…

Mais il savait déjà que cette femme contenait en elle toutes les audaces, et il ne fut donc pas véritablement surpris de la voir se lever et aller féliciter Boris Czaplinsky pour sa chance insolente. Ce qui était plus étonnant, en revanche, ce fut de voir que Boris Czaplinsky, d’ordinaire assez froid, était subjugué comme malgré lui par le charme de la Belle Sibérienne. Il semblait flatté par les compliments qu’elle lui glissait à l’oreille, il était déjà fier de leur complicité nouvelle, et Alexandre comprit que le vieil homme allait emmener chez lui la Belle Sibérienne, qui n’en repartirait qu’après s’être fait offrir la majeure partie de ses gains.

Alexandre s’éloigna d’un pas furieux. Il ne voulait pas assister au départ de Varvara Vorskaïa au bras de Boris Czaplinsky, de crainte de susciter un scandale. Peut-être aurait-il insulté la jeune femme, à moins qu’il ne provoque en duel le vieux Boris Czaplinsky…

Lui qui avait appris, en huit ans d’espionnage, à maîtriser autant ses gestes que ses élans du cœur, il se sentait pour la première fois incapable de contenir sa colère ou son impulsivité. Et, en vérité, ce qui l’exaspérait, ce n’était pas l’idée que Boris Czaplinsky risque de se faire dépouiller d’une fortune gagnée en un soir, non : il ne pouvait pas tolérer que la Belle Sibérienne puisse envisager avec autant de sérénité de passer sa nuit dans les bras de ce joueur trop chanceux.

-Tout à l’heure, elle souriait au grand-duc Vladislas d’un air lascif et prometteur, mais il a suffi qu’il perde la partie pour qu’elle change de proie…

Dès le premier soir où il avait fait la connaissance de cette femme, à Versailles, il l’avait considérée comme une dangereuse courtisane. Une de ces femmes qui jouent à conquérir les hommes, à les traiter en esclaves pour finalement les dépouiller, avant de s’enfuir… Il se doutait aussi qu’il la reverrait fréquemment, au gré de ses missions à travers l’Europe, car ces femmes-là étaient obligées de changer régulièrement de noms, d’entourage et de pays.

Et cependant, malgré tout ce qu’il savait d’elle, il ne parvenait pas à la mépriser. Au contraire, il la plaignait vaguement, en se demandant pourquoi elle éprouvait un tel besoin de s’enrichir. Il en concluait qu’elle avait dû être bien seule, ou fort effrayée, pour ressentir à ce point la nécessité de se rassurer en accumulant les bijoux et la fortune. Et s’il avait réussi à attirer son attention, sans doute lui aurait-il dit très vite qu’il l’aimait, qu’il était assez riche et assez apprécié du tzar pour n’avoir rien à redouter de l’avenir, et qu’il se faisait fort de mettre à sa disposition sa fortune et son impérial soutien. Mais son métier d’espion l’obligeait justement à conserver la plus grande discrétion.

Bref, ce soir-là, celle qui se faisait désormais appeler Varvara Vorskaïa quitta le palais impérial au bras de Boris Czaplinsky. Tandis que Alexandre Sernine, amoureux désemparé, s’enivrait superbement en mélangeant vodka et brandy…

Durant plus d’une semaine, la Belle Sibérienne ne reparut pas à la cour de Saint Petersbourg. Et Alexandre commençait à craindre qu’elle n’ait quitté la Russie après avoir dépouillé Boris Czaplinsky de sa fortune, lorsqu’il la retrouva, dans un bal où sa beauté rayonnante éclipsait toutes les autres femmes. Elle arborait sur son front un somptueux diadème de diamants blancs, parmi lesquels étincelait la Califfa, une superbe émeraude appartenant à la famille Czaplinsky. Il était facile de deviner que Boris avait dû offrir ce joyau à la jeune femme pour la remercier d’être devenue sa maîtresse. La Cour ne s’y trompa guère, et de multiples rumeurs circulèrent de nouveau à propos de la Belle Sibérienne, mais celle-ci ne s’en souciait pas. Elle était d’ailleurs indifférente à toutes les convenances, Alexandre le comprit en observant sa nouvelle attitude face au grand-duc Vladislas. Le soir où le grand-duc avait perdu au jeu contre Boris Czaplinsky, elle s’était superbement détournée de lui, mais désormais elle lui souriait de nouveau, avec l’audace de ces femmes qui se savent assez belles pour être pardonnées. D’ailleurs, le grand-duc Vladislas se comporta comme elle s’y attendait, il ne lui fit aucun reproche et parut seulement heureux d’avoir retrouvé ses faveurs. Bientôt, il consentit même à abandonner la délicate danseuse dont il était l’amant, pour se consacrer à la Belle Sibérienne.

-Il est vrai qu’elle reste infiniment plus désirable que la jeune danseuse, admit Alexandre, résigné aux charmes et aux caprices de cette indomptable aventurière.

Mais, comme il savait qu’il souffrirait tant qu’il n’aurait pas réussi à la séduire, il se décida à tenter sa chance, en allant ostensiblement jouer aux cartes, un soir, en sa présence...

Il gagna plusieurs rouleaux de pièces d’or, et il sut qu’il était le plus favorisé des joueurs, ce soir-là, lorsqu’il vit la Belle Sibérienne venir négligemment s’asseoir à ses côtés.

-Vous devriez interrompre la partie, lui murmura-t-elle à l’oreille, avec cette bienveillance apparente qu’elle témoignait aux hommes dès qu’ils commençaient à gagner. Sinon, vous perdrez.

-Je m’en moque, protesta Alexandre, afin qu’elle sache qu’il était assez riche pour supporter les caprices du hasard.

Elle demeura silencieuse un instant, comme si elle était déjà conquise par l’aisance de cet homme. Alors, croyant affirmer ainsi son avantage, il poussa discrètement vers elle un petit tas de pièces d’or :

-Si vous êtes tentée de jouer avec cette fortune que je n’ai pas méritée, vous pouvez en prendre une partie…

Elle parut stupéfaite par une telle générosité mais, contrairement à ce que Alexandre attendait, elle repoussa  son offre :

-Non. Je ne supporterais pas de vous dépouiller. D’autant que vous vous êtes déjà montré généreux envers moi…

Et, comme il ne comprenait pas ce qu’elle voulait dire, puisque c’était la première fois qu’ils échangeaient quelques mots, la Belle Sibérienne lui rappela :

-Nos routes se sont déjà croisées, à Versailles et à Rome. Vous avez fatalement reconnu en moi la Cardinale et la Reine de la Nuit, et vous auriez pu dénoncer mes agissements ou me livrer à la justice du tzar. Pourtant, vous m’avez protégée par votre silence. Permettez-moi de vous en remercier aujourd’hui, en vous laissant vos gains.

Mi-déçu mi-reconnaissant, mais surtout ému, Alexandre prit entre ses mains les doigts fluets de Varvara :

-Il est vrai que nous voyageons beaucoup, tous les deux. Mais je ne pensais pas que vous m’aviez remarqué.

Ce soir-là, elle accepta de suivre Alexandre dans le petit palais des princes Sernine. Mais, dès le matin, tandis qu’il conservait encore les yeux fermés pour prolonger ces instants de bonheur brièvement partagés, elle se leva pour se préparer et repartir.

-Restez avec moi, proposa-t-il sur un ton faussement détaché.

Elle lui dédia un sourire empreint de mélancolie :

-Vous savez bien que ce n’est pas possible. Les femmes comme moi ont trop besoin d’argent pour demeurer fidèles, même à un homme comme vous.

-Je suis riche, insista-t-il.

Mais elle demeura imperturbable :

-Je ne vous aime pas assez pour me satisfaire de ce que vous me donneriez. Et je vous respecte trop pour vous trahir.

Alors, il sut qu’elle partirait, quoi qu’il dise, et il se contenta de la regarder se rhabiller, pour graver à jamais ces instants privilégiés dans sa mémoire.

Sans doute quitta-t-elle Saint-Petersbourg, car il eut beau hanter le palais impérial, il ne la rencontra plus durant les longs mois d’hiver.

Ce fut au printemps suivant qu’il la retrouva : le grand-duc Vladislas venait de perdre son épouse, et la rumeur prétendait qu’il n’avait attendu que ce deuil pour se remarier avec la plus belle dame de toutes les Russies. Avant même de la voir, Alexandre sut que cette femme ne pouvait être que la Belle Sibérienne. Il est vrai que le grand-duc Vladislas venait d’hériter de l’immense fortune de sa première épouse, ce qui avait dû convaincre Varvara de se lier à lui.

L’union de la Belle Sibérienne et du grand-duc Vladislas ne tarda guère à susciter de multiples médisances. A plusieurs reprises, les courtisans de Pierre le Grand constatèrent que cette aventurière n’hésitait pas à tromper ostensiblement son mari, notamment avec les messieurs qui gagnaient aux cartes contre lui. Un soir, le grand-duc excédé provoqua en duel l’un de ses rivaux. Il le tua au petit jour, d’un coup de sabre, mais l’on sut peu après que le défunt avait légué par testament tous ses biens à la Belle Sibérienne…

Toujours indifférente aux scandales que sa conduite suscitait, celle-ci continuait de vivre à la cour, en souriant à tous ceux qui gagnaient au jeu, comme si rien ne pouvait la rassasier de l’or, des titres et des bijoux qu’on lui offrait.

Alexandre la regardait évoluer parmi les joueurs, tous subjugués par sa beauté et peut-être aussi par cet air lointain, vaguement absent, qui la distinguait des autres femmes. Malgré lui, malgré la fascination qu’elle avait exercée sur lui, il commençait à la juger trop cupide pour rester digne d’être aimée, et peut-être allait-il parvenir à se détacher d’elle, lorsqu’il apprit que le grand-duc Vladislas se mourait. Une fois encore, cet aristocrate orgueilleux avait provoqué en duel l’un des soupirants de sa femme, mais cette fois c’est lui qui avait été blessé d’un coup de feu près du cœur. Il mourut trois nuits plus tard, dans les bras de la Belle Sibérienne sanglotante.

-Peut-être a-t-elle enfin des remords, ricanaient dans Saint-Petersbourg ceux qui ne lui avaient jamais pardonné ses écarts. C’est tout de même à cause d’elle que son mari a dû se battre une fois encore…

D’autres ajoutaient qu’elle simulait le désespoir pour se faire pardonner d’avoir été à l’origine de ce duel, mais qu’elle ne renoncerait jamais à ses habitudes de coquetterie.

Alexandre alla se présenter au palais du grand duc Vladislas pour témoigner sa compassion à la nouvelle veuve. Mais, ce matin-là, il eut peine à la reconnaître : le regard fiévreux, elle semblait soudainement amaigrie, et toute sa personne paraissait empreinte d’une lassitude nouvelle.

-Vous êtes malade, murmura-t-il, déjà inquiet.

-Non, répondit-elle sur un ton résigné qu’il ne lui connaissait pas. J’ai perdu mon mari…

Et, avant qu’il ne lui rappelle qu’elle avait déjà causé la mort de multiples hommes, maris, amants ou soupirants, elle tint à lui préciser :

-Le grand-duc Vladislas est le seul homme que j’aie jamais aimé. S’il n’avait pas été aussi acharné au jeu, nous nous serions mariés à dix-sept ans et jamais notre union n’aurait suscité le moindre scandale. Hélas, il aimait les cartes plus que les femmes, plus que moi, et il s’y ruinait au point d’avoir sans cesse besoin d’argent. C’est pour régler ses dettes qu’il a dû se marier la première fois avec une aristocrate, bien plus fortunée que ma famille. Par la suite, j’ai veillé sur lui, en séduisant à sa demande les hommes qui gagnaient contre lui, de manière à récupérer entre leurs bras l’or ou les bijoux qu’il venait de perdre…

Stupéfait, Alexandre l’interrompit pour s’écrier :

-Comment ? Il était donc votre complice, alors que toute la cour condamnait vos multiples infidélités… ?

-Je n’ai jamais agi qu’à sa demande, sanglota celle qui avait été la Belle Sibérienne, et qui n’était plus qu’une veuve pathétique. Même lorsqu’il faisait mine d’être jaloux pour provoquer en duel l’un de mes amants, c’était parce que l’homme avait rédigé un testament en ma faveur. Le grand-duc avait trop de préoccupations financières pour se soucier de la vie humaine… Hélas, il n’imaginait pas qu’un jour, l’un de ses adversaires manierait le revolver mieux que lui et qu’il en mourrait…

Silencieux désormais, Alexandre se demandait comment un homme aimé par la Belle Sibérienne avait pu inciter cette femme à le tromper, poussé par la passion du jeu.

-En somme conclut-il, le grand-duc Vladislas m’aurait tué moi aussi, si vous aviez accepté mon nom et ma fortune, lorsque je vous les ai offerts…

-Bien sûr, admit-elle sans fausse pudeur. Mais je ne voulais pas votre perte. Parce que vous, vous ne vous contentiez pas de me désirer : vous m’aimiez, en plus….

Ce matin-là, ils n’échangèrent plus un mot. Peut-être la Belle Sibérienne regrettait-elle de n’avoir pas aimé Alexandre comme elle avait aimé le grand-duc. A moins que déjà, elle ne se soit replongée dans son isolement désespéré…

Alexandre Sernine se retira discrètement du palais. Le soir-même, il apprit que la Belle Sibérienne s’était donnée la mort. Il n’en fut pas surpris mais, pour la dernière fois de sa vie, il se laissa aller à sangloter.

Il épousa trois ans plus tard la cousine préférée du tzar, mais il paraissait désormais indifférent à sa propre vie. Comme si, après la mort de la Belle Sibérienne, ni les honneurs ni l’amour ne pouvaient plus l’atteindre…

 

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