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FUGUE EN SICILE MAJEURE

Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 2685

de l’hebdomadaire NOUS DEUX (15 Décembre 1998)

 

Julie Chabanis avait invité ses trois meilleures amies pour leur annoncer la nouvelle: elle s'était enfin résolue à prendre des vacances!

-Toi, en congé ? Mais tu vas t'ennuyer, protesta Valérie.

Et, comme elles prétendaient toutes les trois que Julie ne supporterait pas le farniente, l'intéressée hurla gaiement:

-Vous n'y êtes pas, les filles! Je compte justement changer de vie et me détendre. J'ai vingt-sept ans, et jusqu'à présent, je n'ai eu que le temps de poursuivre mes études, me marier, passer des concours, divorcer, travailler. Bref...

Julie marqua une pause, pour ménager son effet de surprise:

-Bref, j'ai pris de bonnes résolutions: au lieu d'utiliser mes congés annuels pour retapisser mon séjour ou peindre en rose et gris les fauteuils du balcon, ...je me suis juré de ne RIEN faire. Et pour ne pas être tentée de changer d'avis, je pars en vacances!

-Tu as raison! Que vas-tu découvrir ? interrogea Odile.

Julie reprit son fameux hurlement, mi-rageur mi-ironique:

-Justement: rien! Ni musées, ni planche à voile! Je vais seulement planifier mes siestes. Et, peut-être, mon bronzage.

Bien entendu, aucune des amies de Julie ne voulut croire à ce programme: elles connaissaient toutes le dynamisme enfiévré de la jeune femme, qui la poussait à se lever dès 5 heures du matin et à se coucher rarement avant minuit. Ce qui lui permettait d'accomplir sa journée de travail, de téléphoner à son ex-mari pour lui remonter le moral, et se précipiter chez sa mère avec des sacs remplis de provisions. Tout en consolant sur son portable les plus désespérées de ses amies.

Radieuse, Julie ajouta:

-Même mon ex-mari m'a encouragé à prendre des vacances. Et pour cela, il m'a prêté son camping-car. Donc, je quitte Paris ce soir. Direction: la Sicile. Mer et soleil à volonté!

Toutes ensemble, elles levèrent leurs verres, tandis que Julie débouchait une bouteille de Champagne.

Une heure plus tard, elle jetait pêle mêle dans une valise quelques tee shirts et deux jeans.

Il ne lui fallut que trois jours pour traverser les autoroutes d'Italie, et atteindre la Sicile.

Là, elle choisit de se diriger vers le littoral tyrrhénien. Elle fit une première halte un peu au hasard, sur la route qui dominait les falaises de Militello. Tout en allant à l'arrière du camping-car pour se faire chauffer du café, elle jeta un premier regard émerveillé au paysage.

Un soleil encore brûlant se diluait dans un océan multicolore. Au loin se profilaient les îles éoliennes, dominées par la silhouette lourde et faussement menaçante du Stromboli, le dernier volcan encore en éruption...

Saisie par la beauté de l'endroit, elle alla s'asseoir au bord des falaises, pour savourer son café. De l'autre côté de la route, d'immenses plantations d'orangers et de citronniers en fleurs s'étendaient en coteaux jusqu'à la mer. Et l'air marin se mêlait d'un délicat parfum d'agrumes.

-J'ai trouvé l'endroit idéal, se félicita-t-elle. Et comme nous sommes au mois de Mai, je ne suis même pas menacée par un afflux de touristes! Humm... Je sens que je vais passer ici des vacances de rêve, où rien ne m'arrivera!

Pourtant, au milieu de la nuit, elle fut réveillée en sursaut par le bruit d'un moteur, sur la route des falaises. Incapable de se rendormir, elle en profita pour organiser sa journée du lendemain: elle se promit d'aller visiter le château-fort de Sant'Agata, et de... Stop! Si elle continuait à ce rythme, il lui suffirait de deux ou trois insomnies pour planifier ses vacances comme elle planifiait sa vie, c'est à dire qu'elle n'aurait plus un instant de tranquillité!

Le bruit de moteur se rapprochait. En fait, il semblait s'agir de deux voitures qui roulaient très vite, comme si elles faisaient la course.

-C'est d'autant plus surprenant qu'il est trois heures du matin, bougonna Julie après un coup d'oeil à sa montre.

Soudain, elle entendit claquer deux détonations. Une seule voiture s'éloigna, plus lentement. Alors, le silence retomba sur la campagne sicilienne.

Mais la jeune femme ne put retrouver le sommeil.

Elle se leva dès les premières lueurs du jour. A l'horizon, un soleil acide projetait ses reflets sur la mer. Dans les plantations de citronniers, des hommes en chemises blanches aux manches retroussées travaillaient déjà à irriguer le sol. Dès que Julie s'approcha d'eux, ils se redressèrent pour la dévisager, sans aucune gêne. Elle fit semblant de ne pas s'en rendre compte, et demanda:

-J'ai entendu des bruits étranges, cette nuit. Vous aussi ?

Le maître de la plantation eut un geste d'ignorance:

-Rien du tout. Et vous, les enfants ?

Tous ses fils refirent scrupuleusement le même geste:

-Nous non plus. Rien du tout.

Il en fallait davantage pour décourager Julie, qui insista:

-C'était comme des voitures qui se pourchassaient...

-On vous dit qu'on n'a rien entendu, répétèrent-ils.

Visiblement, ils ne diraient rien de plus, aussi regagna-t-elle son camping-car.

La route qui longeait le littoral était déserte à cette heure. Soudain, un homme bondit d'un massif de lauriers-roses et fit signe à Julie de s'arrêter.

-Emmenez-moi, supplia-t-il. Ma voiture vient de tomber en panne. Or je dois me rendre d'urgence à...

L'inconnu avait un regard qui inspirait confiance. Elle lui ouvrit la portière du passager, tout en lui demandant:

-Où allez-vous ?

Avant de répondre, il s'engouffra précipitamment dans le camping-car. Il portait avec lui une mallette en cuir noir, qu'il déposa scrupuleusement à ses pieds.

-Vous pouvez la ranger à l'arrière: il y a de la place, suggéra Julie.

-Non, je préfère la garder avec moi. Nous autres, Siciliens, sommes superstitieux, bredouilla-t-il en guise d'excuse.

-Vous ne m'avez toujours pas dit où vous alliez, rappela gaiement la jeune femme.

-Et vous ? Je ne voudrais pas vous imposer un détour. Je m'appelle Adriano di Ferrante.

-Moi, Julie Chabanis. Touriste française. Je m'apprêtais à visiter la Torre del Gatto, le château-fort, mais j'ai tout mon temps, et si je puis vous être utile...

Tout en parlant, elle se reprochait de retrouver sa vieille manie, qui consistait à vouloir toujours venir en aide aux autres. Y compris à cet inconnu, qu'elle perdrait de vue à jamais dans ...quelques kilomètres! Mais son regard trahissait une anxiété qui donnait envie de l'aider. Et surtout, il était extrêmement séduisant. Très mince, ce qui le faisait paraître plus grand qu'il n'était, il avait un visage mat, qu'encadraient des favoris au charme démodé.

-Vraiment, vous n'êtes pas pressée ? Dans ce cas, proposa Adriano, nous pourrions prendre la route d'Alcara Li Fusi. Cela me fera gagner du temps, et vous découvrirez au passage le massif des Nebrodi. C'est un autre aspect de la Sicile, nettement plus sauvage. Tournez là, ordonna-t-il subitement.

Sous l'effet de la surprise, Julie ne put qu'obéir.

-Pardonnez-moi, s'excusa ensuite Adriano. Je n'ai pas d'ordre à vous donner, mais ce chemin méritait vraiment d'être vu.

En effet, la route s'enfonçait à l'intérieur de l'île, le long d'une vallée boisée de sapins et de châtaigniers. Parmi lesquels on distinguait le feuillage bleuté de quelques oliviers sauvages. Pourtant, Julie avait des doutes sur les préoccupations touristiques de son passager, qui lui avait demandé de tourner, ...à l'instant précis où elle avait remarqué une Fiat noire, en faction sur le littoral. Pour en avoir le coeur net, elle fit semblant de vouloir s'arrêter:

-Regardez, en contrebas! Il y a du chèvrefeuille et des capucines sauvages. Si nous allions en cueillir ?

Adriano parut subitement mal à l'aise:

-Je vous assure que la nature sera bien plus belle à l'intérieur du pays. Et, puisque vous aimez les fleurs, je me permettrai de vous faire une surprise...

O.K. Julie avait maintenant la certitude qu'Adriano était poursuivi. Et son instinct lui soufflait que la mallette en cuir était certainement liée à ses inquiétudes. Même si elle avait quelque peine à l'imaginer en bandit sicilien.

Elle voulut se rassurer en admirant son sourire, viril et lumineux, qui resplendissait dans son visage buriné par le soleil. Quant à ses mains, noueuses et musclées, on devinait qu'elles étaient habituées aux travaux de la terre. C'étaient des mains de paysan ou de vigneron, pas de truand. Mais peut-être Julie était-elle particulièrement indulgente ?

Comme s'il avait lu dans ses pensées, Adriano effleura délicatement les doigts de la jeune femme:

-Pourriez-vous vous arrêter ici quelques instants ?

Tout en serrant sa mallette contre lui, il sauta lestement du camping-car, et courut vers une baraque, sur le bas-côté de la route. Lorsqu'il revint, quelques instants plus tard, il portait un sachet en papier, qu'il tendit à Julie avec un sourire malicieux:

-Souvenez-vous! Je vous avais promis une compensation pour les capucines sauvages. La voici. Des bourgeons de fleurs de câpres, confits dans le sel. C'est une spécialité locale. Chez nous, ma mère les fait macérer elle-même. Quand j'étais gamin, je me levais chaque nuit pour aller en voler quelques uns dans l'armoire à provisions. Les câpres n'avaient pas eu le temps de confire, ils étaient aigres, mais je me régalais tout de même. J'étais terrorisé à l'idée que ma mère ne découvre ces vols... Jusqu'à ce que je comprenne qu'elle connaissait parfaitement mes escapades nocturnes, et qu'elle me sacrifiait volontiers les deux ou trois bocaux qu'elle rangeait sur l'étagère du bas. Maman a toujours été si compréhensive...

Il se tut, pour permettre à Julie de croquer ces friandises cristallisées, aux reflets mauve et blanc.

Elle se déclara enchantée par leur saveur acidulée, peut-être parce qu'elle avait envie de partager les goûts d'Adriano.

-C'est aussi surprenant que délicieux! Mais je vous en prie, continuez à me parler de vous, et de votre famille.

Adriano parut brusquement gêné:

-Vous devez me juger "pittoresque", n'est-ce pas ? Je n'ai sûrement pas la distinction de vos amis parisiens.

Julie se retint pour ne pas protester. Il n'avait donc pas compris qu'elle était justement émue par cette spontanéité, qui lui donnait un air non pas naïf, mais attachant. Depuis son divorce, elle rêvait d'un homme qui ne se croie pas obligé de la dominer pour la garder, et qui ose rester viril sans pour autant dissimuler les sensibilités de son enfance.

Peut-être parce qu'elle était en vacances et qu'elle avait envie de se sentir libre et détachée de toute préoccupation, elle balaya les soupçons qu'elle avait nourris envers lui.

-A propos, où dois-je vous déposer ?

Il la fixa, un instant. Avant de se décider:

-Nous pourrions aller ensemble jusqu'à Castelbuono. Vous me laisserez là-bas, et vous reprendrez votre route...

-N'y a-t-il aucun garage plus proche, pour faire réparer votre voiture ? interrogea-t-elle, un peu malicieusement.

Malgré elle, son tempérament soupçonneux avait repris le dessus. Du coup, Adriano perdit toute contenance, et se mit à bégayer des explications en dialecte sicilien...

Jusqu'à ce qu'elle se décide à l'interrompre:

-C'était juste pour vous montrer que je ne croyais pas à votre histoire de panne. Vous n'êtes pas tenu de me raconter votre vie, mais au moins ne me dites pas n'importe quoi!

Pour toute réponse, il eut un sourire crispé:

-Vous avez raison. Pardonnez-moi.

Et il se tut. Bien sûr, par politesse, Julie lui avait dit qu'il n'était pas obligé de se confier. Mais au fond d'elle-même, elle espérait qu'il aurait à coeur de se justifier en lui avouant pourquoi il avait dû s'enfuir dans la voiture d'une inconnue. Or, il n'avait visiblement pas l'intention de révéler quoi que ce soit... Malgré elle, la jeune femme fit un rapprochement avec les coups de feu qu'elle avait entendus dans la nuit, juste avant de rencontrer Adriano sur la route.

-Vous ne parlez guère, s'inquiéta-t-il. Où habitez-vous, en France ? Moi, je ne connais pas votre pays, mais mes parents ont fait leur voyage de noces à Paris.

-Et vous, êtes-vous marié ? interrogea Julie, sur un ton volontairement indifférent.

Il éclata de rire:

-En principe, ce sont les Italiens qui sont réputés pour poser ce genre de questions. Mais bon, sachez que je suis célibataire. Au grand désespoir de ma mère.

Julie se sentit confusément satisfaite.

-Zut, pensa-t-elle, je dois me souvenir que dans un moment, nous nous quittons définitivement. Et je n'aurai de ses nouvelles que ...par les journaux, si tout va mal!

Elle essaya bien de se dire qu'en somme, elle était une femme seule et libre, et que n'importe qui à sa place aurait succombé au charme viril et mystérieux du Sicilien... Oui, mais elle était trop lucide pour ne pas s'apercevoir qu'elle était tombée amoureuse de lui!

Déjà, Adriano se rapprochait d'elle pour l'embrasser. Et elle sentit qu'elle n'aurait pas le courage de le quitter, tout à l'heure, lorsqu'ils arriveraient à Castelbuono.

-Où devez-vous aller ? insista-t-elle. Je vous emmènerai. Je puis vous être utile, plus que vous n'imaginez.

Au lieu de lui répondre, il regarda sa montre:

-Pardonnez-moi, ordonna-t-il, il faut que je conduise. Pour aller plus vite...

Elle faillit lui rétorquer qu'elle était tout à fait capable d'accélérer, elle aussi, mais il était trop perturbé pour prêter attention à ce qu'elle dirait. Aussi remit-elle sa remarque à plus tard, et elle lui laissa le volant.

En effet, Adriano conduisait remarquablement bien. Malgré la vitesse, il négociait les virages avec dextérité.

Lorsqu'ils arrivèrent à Castelbuono, un attroupement était amassé sous la grande croix qui marquait l'entrée du village.

-Que se passe-t-il ? gronda Adriano, l'esprit en alerte.

Il repartit presque aussitôt d'un éclat de rire:

-J'avais oublié que c'est aujourd'hui la Sagra del ciliege: la fête des cerises! Ces fruits sont la principale ressource de Castelbuono, aussi les habitants rendent-ils grâce à Dieu, après les récoltes. Et bien entendu, la circulation est bloquée. Tant pis: descendez du camping-car, je vais chercher une place au parking et je vous rejoins.

Des dizaines d'enfants dansaient en farandole, avec des cerises tressées en guirlandes autour du cou, ou accrochées aux oreilles. Quelques femmes habillées en rouge chantaient des airs traditionnels, en hommage aux arbres fruitiers. Un jeune homme, dont le chapeau de paille ployait sous les griottes, s'approcha en souriant de Julie, pour l'inviter à danser.

Prise par l'ambiance euphorique, elle sauta à terre en riant, et suivit l'inconnu dans une valse improvisée parmi les paniers de fruits, en attendant Adriano.

Quand les musiciens s'interrompirent, son cavalier lui proposa une tasse de vin de cerise... Mais la jeune femme fut vite dégrisée, en entendant s'éloigner un moteur qu'elle croyait reconnaître. Un seul regard vers la route confirma ses appréhensions: Adriano s'enfuyait avec le camping-car!

Affolée, elle demanda à son cavalier s'il avait une voiture.

-Oui, mais elle est loin, et l'on ne peut pas circuler aujourd'hui dans Castelbuono, répliqua-t-il froidement.

Visiblement, en Sicile, personne ne se risquait jamais à s'immiscer dans les conflits!

-Désirez-vous une autre tasse de vin de cerise ?

Julie haussa les épaules: ses vacances étaient gâchées, et elle se demandait comment elle allait pouvoir rentrer à Paris, sans argent ni papiers! Ensuite, il lui faudrait annoncer à son ex-mari que son camping-car avait été volé...

-Y a-t-il un poste de police, près d'ici ? demanda-t-elle.

-Bien sûr, sourit enfin l'un des danseurs. Je peux vous montrer le chemin.

Il fallait bien qu'elle porte plainte contre Adriano. Les policiers se moqueraient probablement de sa stupidité, quand elle leur dirait qu'elle avait confié son camping-car à un inconnu. Et ils auraient raison, admit-elle! La trahison de celui en qui elle avait voulu avoir confiance l'amenait à douter d'elle-même.

En arrivant devant le commissariat, la première chose que vit Julie fut son camping-car, ...sagement garé!

-A mon avis, sourit le Sicilien qui lui servait de guide, votre voleur n'est pas si dangereux. Il est allé lui-même se livrer.

Sans l'écouter, Julie s'engouffra dans le poste de police.

Adriano di Ferrante était assis dans un bureau vitré, face à deux inspecteurs qui notaient ses déclarations.

La scène était si imprévisible que Julie en demeura figée. Elle décida de s'asseoir, en attendant qu'il achève ses explications.

Il parla avec les policiers pendant plus d'une heure. Dès qu'il sortit du bureau vitré, il se dirigea vers elle:

-Je savais que vous me rejoindriez, chère et impétueuse Julie. Pardonnez-moi, supplia-t-il, mais je ne pouvais rien vous révéler avant de m'être adressé à la police. Par simple prudence. Tout a commencé le mois dernier: les gens de l'Honorable Société (que vous autres, les Français, appelez la Maffia) ont franchi les limites, en décidant de racketter les propriétaires des plantations de citronniers, autour de Sant'Agata di Militello. Or, selon les conventions que nos pères ont signées autrefois avec la Maffia, il est prévu que l'on ne doit pas de "redevances" pour les arbres fruitiers. Aussi ai-je refusé de payer, et j'ai suggéré aux autres  propriétaires de suivre mon exemple. Durant la nuit qui suivait la date d'échéance, l'Honorable Société a utilisé ses manoeuvres d'intimidation habituelles: des inconnus ont tiré sur ma voiture, pour me prouver qu'ils pourraient m'atteindre quand ils le voudraient. Ils se sentent forts, puisque personne n'a jamais osé témoigner contre eux. Non seulement ma voiture était endommagée, mais en plus, aucun des paysans de Sant'Agata n'a accepté de m'aider, de crainte de se mettre la Maffia à dos. Quand j'ai vu votre camping-car, immatriculé en France, je me suis dit que vous étiez ma seule chance. Et j'ai décidé d'en profiter, en brisant la loi du silence, pour la première fois, et en me rendant à la police. J'avais dans ma serviette assez de documents et de preuves pour confirmer mes dires. Je craignais seulement qu'on ne soit suivi par les agents de la Maffia, et je ne voulais pas vous faire courir le moindre danger. C'est pourquoi je vous ai parfois poussée à changer de route. Et j'ai volé votre camping-car pour aller témoigner seul au commissariat: au cas où l'on aurait réussi à nous suivre et où l'on aurait été prêt à tout pour m'empêcher de parler... On ne sait jamais, ces gens ont tant de complices. Me pardonnez-vous ?

Lui qui était prêt à lutter seul contre la Maffia, devenait pathétique dès qu'il s'adressait à Julie. Elle le rassura:

-Du moment que vous me rendez mon véhicule!!! A propos, où va-t-il falloir que je vous dépose, cette fois ?

-Eh bien...

Il hésita un instant, avant de confier:

-A vrai dire, je l'ignore. La police me conseille de m'éloigner de ma propriété, jusqu'à ce que j'aie témoigné au procès. Ils redoutent pour moi... le pire! Me voici donc libre de vous escorter pendant votre séjour sicilien.

-Hélas, je repars dans huit jours, soupira Julie. Or, le procès n'aura sûrement pas lieu avant plusieurs mois. Que diriez-vous de venir vous mettre à l'abri en France ? Chez moi, par exemple.

-Vous êtes la première femme à ma connaissance qui ne soit pas impressionnée par la Maffia, applaudit Adriano en riant.

Julie se blottit tout contre lui:

-Soyez tranquille: ma mère et mon ex-mari se désespèrent de me savoir seule, ils seront donc ravis de faire votre connaissance. Mes copines me savent incapables de passer des vacances paisibles, et elles ne seront guère étonnées par le récit de nos aventures. Quant aux risques, ...je suis commissaire de police! Embrassez-moi!

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