LES PREDICTIONS DE MADAME VORSKAÏA

Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 2806

de l’hebdomadaire NOUS DEUX (10 Avril 2001)

puis dans le N° 251

de la Revue de l’Amicale des Cadres de la Police (Novembre 2014)

 

Madame Vorskaïa, la célèbre voyante, était en train de retourner les cartes tirées par sa cliente, lorsqu'elle s'aperçut que le Roi de Cœur allait être recouvert par la Dame de Pique.

Depuis plus de quinze ans qu'elle prédisait l'avenir, Madame Vorskaïa avait acquis suffisamment d'empire sur elle-même pour ne jamais tressaillir, quoi qu'elle puisse voir dans son jeu. Au contraire, tandis qu'elle effectuait ses prédictions, elle ne cessait pas d'observer à la dérobée ses visiteurs, pour guetter leurs réactions et juger de ce qu'elle pouvait leur dire, sans risquer de les traumatiser.

Ce jour-là, elle dut estimer sa cliente capable de tout entendre, car elle n'hésita pas à lui confier:

-La mort rôde autour de vous. C'est la Dame de Pique...

-J'ai trop de cholestérol dans le sang, blêmit Irène Ginoyer.

-Non, protesta très vite Madame Vorskaïa. La mort n'est pas sur vous. Mais elle vous touchera de près. Je ne serais guère surprise qu'elle s'en prenne à l'un des hommes de votre entourage. Votre mari, ou l'un de vos frères, par exemple.

-Je suis fille unique, soupira Irène.

Avant d'ajouter, en retenant un sourire:

-Croyez-vous vraiment que cela pourrait concerner mon mari ?

Sans répondre, Madame Vorskaïa lui tendit son jeu de cartes, dans lequel Irène Ginoyer extirpa un Sept de Pique.

La voyante consentit alors à commenter:

-C'est exactement ce que je craignais. La mort atteindra votre mari. Vous savez bien que je déteste donner d'aussi tragiques nouvelles, mais je ne suis pas maître du destin de mes visiteurs. Et je ne triche jamais en révélant l'avenir, quel qu'il soit... Je ne suis pas de ces voyantes qui flattent leurs clientes en ne leur donnant que de bonnes nouvelles, pour être sûres de les voir revenir. J'espère que vous ne m'en voulez pas ?

Irène protesta aussitôt, avec sa vivacité habituelle:

-Au contraire! C'est votre réputation d'absolue sincérité qui m'a attirée, et je suis ravie que vous ne me dissimuliez rien. A propos, que voyez-vous d'autre pour mon avenir ?

Madame Vorskaïa parut se concentrer puissamment, tout en retenant un sourire de satisfaction.

Elle était, dans toute la Bourgogne, la seule voyante à oser prédire des accidents, des décès ou des deuils. Tous ses confrères protestaient contre ce type de prophéties, propre selon eux à effrayer la clientèle et à la faire fuir. C'était pourtant ainsi que Madame Vorskaïa avait établi sa notoriété, et le bouche-à-oreille avait très vite vanté sa "sincérité". En quelques mois, son chiffre d'affaires s'était multiplié, et ses clients lui demeuraient d'une fidélité rigoureuse.

En réalité, Madame Vorskaïa avait un secret: certes, il lui arrivait de prédire des deuils, mais elle ne le faisait que pour maintenir sa réputation d'authenticité. Et encore choisissait-elle pour ce type de déclaration, des clientes mal mariées, ou avides d'héritage. De sorte que ces femmes-là, loin d'être effrayées par les propos de la cartomancienne, ne trouvaient dans ces promesses de mort rien d'autre qu'une lueur d'espoir.

La belle et trépidante Irène Ginoyer en était un exemple supplémentaire: mariée depuis douze ans à un avocat qui l'avait éblouie par sa fortune, mais qui l'exaspérait par son manque d'originalité, elle avait cessé de l'aimer depuis longtemps. Et si elle n'osait pas envisager le divorce, c'était seulement parce qu'elle demeurait attachée à son fastueux train de vie. Bref, les perspectives de veuvage annoncées par Madame Vorskaïa ne pouvaient que la rassurer et l'exhorter à la patience.

D'ailleurs, à compter de ce jour-là, chaque fois que son mari lui paraissait insupportable, elle parvenait à se calmer en se souvenant qu'il n'était plus qu'un mort en sursis. Et, s'il lui arrivait parfois de perdre espoir, elle partait aussitôt chercher quelques bouffées d'optimisme en allant consulter Madame Vorskaïa. Celle-ci lui faisait tirer sept cartes et lui décrivait alors la vie qu'elle ne tarderait plus à mener, après le décès de Maître Ginoyer...

Pour tuer le temps, dans le salon d'attente de l'habile voyante, Irène observait négligemment les gens assis en face d'elle, tout en cherchant à deviner ce qu'ils espéraient entendre à propos de leur avenir: promesses d'amour ou d'argent...

C'est ainsi qu'elle s'étonna, un soir, de découvrir parmi eux une jeune fille, qu'elle remarqua d'abord pour sa fraîcheur.

-Cette enfant-là n'a rien à faire parmi nous, songea-t-elle. Elle est assez jolie pour pouvoir tout espérer de la vie. Aussi ne devrait-elle pas avoir besoin de réconfort.

La jeune fille dut sentir peser sur elle le regard d'Irène, car elle l'observa à son tour. Et, comme il était tard et qu'il ne restait plus que trois personnes dans le salon d'attente, elle se risqua à demander:

-Etes-vous déjà venue consulter Madame Vorskaïa ? Je voudrais savoir si elle possède un véritable don de medium.

Irène Ginoyer eut un sourire encourageant:

-Elle passe pour être la meilleure voyante de la région.

-C'est que... J'attends d'elle un renseignement très important. Tout mon avenir en dépend, soupira la jeune fille, qui ressentait sans doute le besoin de se confier.

Avant même qu'Irène n'ait le temps de lui poser une question, elle avoua s'appeler Virginie Vallée et vivre dans l'attente fébrile de son mariage.

-A mon avis, sourit Irène, il n'est pas indispensable d'être voyante pour pouvoir vous promettre que cela ne tardera guère. Vous êtes jeune et si ravissante, que...

-J'ai vingt-six ans, l'interrompit Virginie. D'ailleurs, j'ai déjà rencontré l'homme de ma vie. Nous nous aimons et nous vivrions ensemble depuis au moins deux ans, si le père de mon fiancé ne s'opposait pas à notre mariage. Cet homme-là est inspecteur des impôts, il en a profité pour contrôler les revenus de mes parents et il me juge trop pauvre pour son fils. Or, Christian, mon fiancé, hésite à se fâcher avec son père pour m'épouser. De sorte qu'il reporte sans cesse la cérémonie... Pourtant, je ne veux pas menacer Christian de le quitter, car son père en serait trop content...

-Il faudra bien qu'un jour, votre fiancé se décide à assumer ses choix, protesta Irène.

-Justement, soupira la jeune fille, je suis très inquiète. C'est pourquoi je me suis décidée à venir consulter Madame Vorskaïa: il paraît qu'elle est la seule voyante à oser annoncer les mauvaises nouvelles, même les ruptures ou ...les deuils! Or, seule la mort de mon beau-père permettrait à Christian de m'épouser. Mais je vous choque sûrement ?

Irène haussa les épaules d'un air fataliste:

-Moi aussi, j'espère la mort de quelqu'un. Comme la plupart de ceux qui viennent consulter Madame Vorskaïa.

A cet instant, une autre cliente, qui semblait occupée à lire une revue sur les tables tournantes, choisit d'intervenir:

-Eh bien moi, Mademoiselle, je ne vous conseille pas de vous fier à de simples prédictions. Vous devez exiger de votre fiancé qu'il choisisse entre son père et vous. Et s'il ne vous aime pas assez pour se décider, quittez-le sans regrets. Sinon, vous risquez fort de perdre des années à guetter la mort de votre beau-père. Car Madame Vorskaïa ne donne jamais de dates précises, lorsqu'elle prédit la mort des gens. De sorte que l'on est voué à attendre, parfois très longtemps. Trop longtemps. Croyez-moi, moi qui espère depuis bientôt six ans la mort de mon grand-oncle. Un vieillard à qui je rends visite chaque soir. Je lui fais la cuisine et le ménage, j'écoute ses radotages, et il ne me manifeste aucune reconnaissance. Ce vieil égoïste estime qu'en lui sacrifiant tout mon temps libre, je ne fais qu'accomplir mon devoir de nièce dévouée.

-Etes-vous obligée de continuer, interrogea Irène Ginoyer.

L'autre hésita un instant, avant d'avouer:

-Je suis sa dernière parente. Et Madame Vorskaïa m'avait prédit qu'il ne tarderait guère à mourir, en me léguant toute sa fortune. Cela méritait bien quelques sacrifices. Mais si j'avais su qu'il dépasserait les quatre-vingt ans, soyez sûre que j'aurais préféré renoncer à son héritage.

Elle soupira sur ces années perdues, avant de conclure:

-On ne peut pas compter sur la mort des autres, elle survient toujours trop tard.

Comme pour apprécier la profondeur de cette dernière phrase, les trois femmes interrompirent leur début de conversation. Mais, lorsque ce fut au tour d'Irène de se lever pour suivre Madame Vorskaïa dans son cabinet, elle se retourna vers les deux autres pour leur ordonner, sur une impulsion subite:

-Retrouvons-nous demain après-midi. Au Café des Deux Rivières. J'ai peut-être une idée...

Elle n'eut pas le temps d'en dire davantage, mais déjà elle était certaine que les deux autres viendraient à son rendez-vous, tant elles lui semblaient avides d'espoir.

Et, en effet, dès qu'elle arriva au Café des Deux Rivières, le lendemain, Irène y reconnut Virginie, attablée en terrasse face à l'autre dame, qui indiqua s'appeler Françoise Genest.

-Je vous remercie d'être là, s'écria Irène en signe de bienvenue. D'ailleurs, bien que nous ne nous connaissions guère, il va falloir que nous nous fassions une confiance totale et réciproque, si nous décidons d'adopter mon plan.

-A quel sujet, s'inquiéta Françoise.

Virginie, en revanche, ne posa aucune question. Peut-être avait-elle déjà deviné ce qui allait leur être proposé. Ou bien, elle était si angoissée qu'elle se savait prête à tout pour modifier le cours de sa vie.

Irène commanda un thé au lait, avant d'expliquer son projet à ses nouvelles amies. Ou plutôt, à ses futures complices:

-Nos trois existences sont empoisonnées par des hommes. Au point que nous souhaitons leur mort, avouons-le ans hypocrisie. Or, Madame Vorskaïa est formelle, ces messieurs-là sont appelés à mourir bientôt. Elle refuse seulement de nous indiquer la date exacte de leur décès. Je propose donc que nous nous fassions les instruments du destin, ...en abattant ces hommes au plus vite!

Pour toute réponse, Virginie poussa un soupir de déception, tandis que Françoise Genest protestait:

-Votre idée n'est pas vraiment originale! Il y a des années, que je songe à tuer mon oncle. Chaque fois que je cire l'escalier qui mène à sa chambre, je rêve qu'il glisse sur la plus haute marche et qu'il se fracasse le crâne. Mais ce n'est pas facile à mettre en oeuvre. D'ailleurs, avec les mobiles que nous possédons pour désirer leur mort, nous serions les premières soupçonnées par la police!

Irène eut un sourire triomphant:

-Si vous m'obéissez, vous ne serez pas suspectées. Vous aurez même un alibi inattaquable, puisque l'homme qui vous dérange aura été supprimé par l'une de nous, qui ne le connaît pas et ne bénéficie nullement de sa mort. Imaginez que Virginie se charge de tuer votre oncle, puis que vous assassiniez mon mari et que moi-même, j'abatte le futur beau-père de Virginie. Comment les enquêteurs pourraient-ils retrouver la meurtrière, alors que nous ne nous fréquentons même pas, et que nous nous sommes rencontrées hier pour la première fois chez Madame Vorskaïa ? J'ajoute qu'il nous faudrait agir assez vite, puisque la police se consacre actuellement à la traque de ce serial killer qui étrangle les femmes seules, à la nuit tombée, dans les alentours de Dijon. Grâce à cet assassin qui occupe régulièrement la première page des journaux et qui affole toute la population bourguignonne, nos meurtres passeront complètement inaperçus...

Cette fois, ni Virginie ni Françoise ne répondirent à Irène. Rêveuses, elles envisageaient déjà un avenir débarrassé de leur oncle et de leur beau-père... Tandis qu'Irène se répétait qu'elle avait enfin trouvé le moyen de se séparer de son avocat de mari, sans renoncer pour autant à sa fortune!

Finalement, Virginie demanda, en écarquillant ses grands yeux naïfs:

-Quand commençons-nous ?

Françoise Genest proposa spontanément de se charger du futur beau-père de la jeune fille, dès le vendredi suivant:

-Il est juste qu'elle soit la première bénéficiaire de notre association, puisqu'elle attend pour se marier. Nous autres, nous sommes moins pressées...

-Merci, balbutia Virginie, émue. Je vous promets de vous inviter à mon mariage.

-Surtout pas, protesta Irène. Notre principal atout, pour demeurer insoupçonnables, réside dans le fait que nous ne nous connaissons pas. Et nous devrons cesser toutes relations dès que nous serons libérées.

Elles acquiescèrent, domptées par l'esprit de décision d'Irène, qui avait visiblement tout prévu.

Conformément au plan établi, le vendredi suivant, Virginie Vallée alla assister à une exposition de tableaux réalisés par des handicapés. Elle avait pris soin de se faire accompagner par son fiancé, pour que lui non plus ne risque pas d'être suspecté. Et elle attira l'attention sur elle en posant de nombreuses questions aux artistes infirmes, sous prétexte de s'intéresser à la façon dont ils peignaient avec la bouche ou avec le pied.

En réalité, elle ne pensait qu'à son beau-père, qui devait ce soir-là participer à un tournoi de bridge. Il était prévu que Françoise le guette à la porte de son garage et qu'elle le suive un moment en voiture, puis qu'elle cause un accrochage. Dès qu'il sortirait de sa Mercedès pour effectuer le constat amiable d'accident, elle foncerait sur lui pour l'écraser. La police conclurait à une mort accidentelle, occasionnée par un chauffard assez lâche pour prendre la fuite...

Vers minuit, Virginie tremblait tellement qu'elle dut serrer contre elle le poignet de son fiancé, qui remarqua:

-Qu'as-tu, ma chérie ? Ce soir, tu me parais ...différente!

Cela ne servit qu'à l'affoler encore davantage:

-Demain, lorsqu'il apprendra la mort de son père, il fera le lien entre mon émoi et l'accident. Peut-être l'indiquera-t-il même à la police... Pourvu que Françoise ait eu un empêchement, et qu'elle ait reporté ce meurtre à plus tard!

En fait, Virginie s'était soumise spontanément aux projets criminels d'Irène, parce qu'elle avait eu l'impression de pénétrer dans un roman policier. Mais elle était en train de prendre conscience qu'un homme allait périr à cause d'elle, et elle s'en trouvait horrifiée. Maintenant, elle n'avait plus du tout envie que le père de Christian meure, même si cela compromettait ses projets de mariage.

Le lendemain, dès que son fiancé lui téléphona, elle s'inquiéta immédiatement de savoir comment allait son père.

-Il va bien, puisqu'il grogne, plaisanta Christian. Ce matin, il était furieux d'apprendre par la radio la prochaine baisse des impôts. Il craint d'avoir moins de contrôles fiscaux à effectuer chez les particuliers.

Après une seconde de silence, le jeune homme s'étonna:

-Virginie, pourquoi te soucies-tu autant de mon père ?

Elle bredouilla quelques mots inaudibles, tout en remerciant le destin qui avait empêché Françoise de mettre son meurtre à exécution.

Ce fut seulement vers midi, lorsqu'elle parcourut les grands titres de l'actualité, qu'elle se remit à frissonner: en apprenant que l'Etrangleur avait de nouveau frappé, la nuit dernière. Et que sa victime, agressée au volant de sa voiture, n'était autre que Françoise Genest...

Oubliant toutes les précautions que les trois complices avaient choisi de s'imposer, pour que personne ne risque de découvrir qu'elles se connaissaient, la jeune fille téléphona immédiatement à Irène. Qui se montra tout aussi bouleversée:

-C'est effroyable! Pour la première fois, je connais l'une des victimes de l'Etrangleur! Depuis ce matin, je suis sous le choc, en pensant au sort horrible qu'a subi Françoise. Juste au moment où elle s'apprêtait à hériter de son oncle et à profiter enfin de la vie...

Irène conservait tout de même assez d'empire sur elle-même pour rappeler à Virginie:

-J'espère que cet "accident" ne change rien à nos projets ? Désormais, c'est moi qui me chargerai d'abattre votre futur beau-père, et vous assassinerez mon mari, n'est-ce pas ?

Virginie raccrocha sans répondre. Sans oser l'exprimer, elle avait l'impression que leur plan avait suffi à déchaîner des forces meurtrières occultes, et elle ne se sentait plus la force de poursuivre dans cette voie.

Quitte à renoncer à son mariage, elle désirait aujourd'hui que son beau-père vive, jusqu'à ce qu'une mort naturelle l'emporte.

-Quand on décide froidement de la mort de trois personnes, comme nous l'avons fait avec une terrible inconscience, on ne peut pas en sortir indemnes, soupira-t-elle.

Durant une semaine, elle demeura prostrée sous les remords. Elle utilisa n'importe quels prétextes pour ne pas revoir trop vite son fiancé. Et, le soir où elle dut enfin sortir pour le rejoindre, elle ne fut même pas étonnée d'entendre derrière elle les pas d'un inconnu qui la suivait.

Elle tenta de s'enfuir, tout en sachant par avance qu'elle n'y parviendrait pas...

On la retrouva étranglée, le lendemain.

-L'Etrangleur a encore frappé, conclut la presse.

Bien sûr, Irène s'étonna que ses deux complices aient été victimes de ce serial killer. Mais, faute de trouver à ces crimes une explication rationnelle, elle ne voulut y voir qu'une coïncidence. Et, comme elle avait désormais trop espéré la mort de son mari pour y renoncer, elle résolut d'agir seule:

-De toute façon, se souvint-elle amèrement, je n'ai jamais pu compter que sur moi. Je peux sans doute empoisonner mon mari. En allant ostensiblement passer huit jours chez ma mère, et en laissant sur la table du salon une bouteille de whisky dans laquelle j'aurai versé une boîte entière des médicaments qu'il prend pour le coeur. Ainsi, la police conclura à un suicide. Ou à un erreur de dosage.

Mais, tandis qu'elle achevait ses valises, elle entendit grincer la porte d'entrée...

-C'est toi, Henry, s'étonna-t-elle.

Avant de se souvenir que son mari participait ce jour-là à un procès à Paris. Terrorisée, elle courut vers l'escalier...

L'homme qui lui barra le chemin lui était inconnu, mais il portait des gants, et il la guettait en souriant...

Irène s'évanouit avant même d'avoir été étranglée.

Un mois plus tard, Maître Ginoyer, en grand deuil, recevait chez lui deux de ses clients, devant qui il osa sourire, pour la première fois depuis la mort d'Irène, son épouse:

-N'avais-je pas raison de vous proposer une association ? Vous, Alain, vous étiez venu me consulter pour que je vous aide à empêcher le mariage de votre fils avec cette intrigante de Virginie Vallée, qui n'en voulait qu'à votre argent. Et vous, Jean, vous ne saviez pas comment déshériter votre nièce, qui faisait semblant de se dévouer pour vous, alors qu'elle ne songeait qu'à surveiller votre patrimoine. Grâce à moi, vous voici débarrassés d'elles!

-N'oubliez pas, protesta le dénommé Alain, qu'en contrepartie, j'ai étranglé votre femme. Nous sommes quitte!

-Sans doute, admit Maître Ginoyer. Mais c'est moi qui ai eu l'idée d'intervertir nos meurtres, afin de ne pas risquer d'être suspectés par la police. Ainsi avions-nous toujours un alibi à présenter, pour le crime qui nous concernait!

Jean rappela:

-La présence d'un étrangleur dans la région nous a aussi aidés, pour éparpiller les soupçons.

Maître Ginoyer éclata de rire:

-Celui-là, le jour où il sera arrêté, il n'en sera pas à trois meurtres près! Et puis, si cela peut endormir vos scrupules, je consentirai à assurer sa défense gratuitement! Je lui dois bien cela! Buvons à notre liberté, mes amis.

Pour porter un toast, il prit la bouteille de whisky qu'Irène avait laissée à son intention, juste avant d'être assassinée.

Les trois hommes s'en servirent une copieuse rasade.

On les retrouva le lendemain, tous trois terrassés par une inexplicable crise cardiaque...

Lorsque Madame Vorskaïa apprit par le journal l'étrange décès du mari d'Irène, du beau-père de Virginie et de l'oncle de Françoise, elle hocha simplement la tête, tout en murmurant:

-J'avais bien prédit qu'ils ne tarderaient guère à mourir!

Puis, en observant son jeu de cartes d'un oeil étonné, elle conclut:

-Il se passe tout de même d'étranges choses, ici-bas.

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