PREMIER AMOUR
Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 2859
de l’hebdomadaire NOUS DEUX (16 Avril 2002)
J’ai eu douze ans le 18 Décembre 1989. Ce matin-là, Maman m’avait offert un magnifique lapin angora, blanc aux yeux bleus, qui semblait échappé d’un dessin animé.
-Il ressemble aux lapins que les prestidigitateurs font sortir des chapeaux haut de forme, avais-je remarqué. On l’appellera Merlin, comme l’enchanteur.
Devant mon bonheur, Maman avait souri. Elle savait que j’aimais les rongeurs, puisque j’élevais déjà sur le balcon de ma chambre trois hamsters et un cochon d’Inde.
-Samedi, tu devrais inviter tes camarades à goûter, avait-elle proposé.
Là, je m’étais contenté de hausser les épaules. Je venais d’entrer en sixième et j’avais assez de temps pour parler avec mes copains pendant la cantine. Quant aux filles, je les trouvais prétentieuses ou bébées. Et franchement, j’étais davantage attiré par les rongeurs¼
Je compris mon erreur moins d’une semaine plus tard : le matin même où je fis la connaissance d’Aurélie¼
Elle arriva dans notre classe de sixième trois mois après la rentrée scolaire. Elle était vieille d’au moins quatorze ans, mais personne n’aurait eu l’idée de se moquer de son âge, tant elle était belle.
En la voyant dans la cour du collège, un peu perdue parmi tous ces gamins qu’elle ne connaissait pas, j’ai tout de suite été stupéfait par son charme. C’était la première fois qu’une fille me paraissait attirante, car avant elle, celles que j’avais connues étaient plutôt des pleurnicheuses, qui se croyaient irrésistibles et qui trichaient en gymnastique. Mais en apercevant Aurélie, j’ai mieux compris pourquoi les hommes et les héros de cinéma étaient prêts à faire n’importe quoi pour les filles. Moi, si je m’étais montré si raisonnable jusque là en face d’elles, c’est que j’étais toujours mal tombé !
Immédiatement, j’ai espéré que la proviseur du collège ait inscrit Aurélie dans notre classe. Et je me suis dit que si c’était le cas, je pourrais y lire le signe que je vivrais avec elle plus tard, lorsque nous serions très vieux et que nous aurions réussi au moins notre baccalauréat.
J’ai eu l’impression de pénétrer dans mon rêve, quand justement la proviseur a réuni tous ceux de la sixième B 3 pour nous informer que désormais, nous compterions parmi nous Aurélie Chabanis :
-Vous allez commencer par vous présenter à elle, et je compte sur vous pour qu’elle ne se sente pas isolée.
Pour ça, on pouvait me faire confiance ! D’ailleurs, d’autres garçons insistaient en lui indiquant leurs prénoms, ils essayaient de se montrer moitié drôles moitié protecteurs, pas du tout comme on se comporte d’habitude avec la dernière arrivée. J’en ai déduit qu’ils avaient eux aussi remarqué les longs cheveux blonds d’Aurélie et surtout ses yeux noirs, qui donnaient à son regard une intensité douloureuse, presque tragique. On aurait eu envie de l’aimer et de la protéger rien que pour ses yeux¼
Malheureusement, c’est près d’Anthony qu’elle s’est assise. Et lui, il s’est cru obligé de lui dicter notre emploi du temps, lui recopier la liste des livres choisis par nos profs, le format des cahiers, etc¼
Elle notait scrupuleusement tout ce qu’il lui disait, avec l’allure appliquée des très bons élèves, ou des paresseux qui essaient de donner le change. Je la surveillais du coin de l’œil, j’ai même failli éclater de rire lorsqu’elle a subi son premier cours de maths. Rien qu’à la façon dont elle a sorti de son cartable un cahier neuf, avec une grimace écœurée, j’ai senti qu’elle regrettait de devoir utiliser un aussi beau papier pour des histoires d’algèbre. Et je me suis douté qu’elle devait être à peu près aussi passionnée que moi par les maths. Du coup, je me suis rapproché d’elle pour lui murmurer, avec un clin d’œil encourageant :
-Tu verras : le prof s’appelle Monsieur Varnier, il est plutôt sympa. Il n’exige même pas qu’on soit surdoué en algèbre.
Pour la première fois, Aurélie m’a souri :
-Malheureusement, dans ce domaine, je suis d’une nullité grave. Au point que j’en ai honte¼
-Tu as tort, lui dis-je. Ici, personne ne te le reprochera. Surtout pas moi ! Et puis, je suis persuadé que dans plein d’autres matières, tu es géniale, mention atomique !
Cette fois, elle a éclaté de rire. J’en ai conclu que pour achever de la conquérir, il me suffirait de dédramatiser ses mauvais résultats en maths. Déjà, nous échangions des regards complices et j’en profitais pour me rapprocher d’elle et lui demander si c’était à cause des maths qu’elle avait changé de collège en début d’année.
-Non, pas du tout, répondit-elle brièvement.
Aussitôt après, elle profita de notre nouvelle amitié pour me questionner :
-Toi, tu dois commencer à connaître ceux qui sont bons en algèbre. Montre-les moi, pour que je puisse m’asseoir à côté de l’un d’eux. Cela m’aidera peut-être¼
Je croyais qu’elle avait l’intention de demander à son voisin des explications supplémentaires sur le cours, et cela m’agaçait car j’en déduisais qu’elle allait m’échapper très vite.
-C’est donc si important pour toi, l’algèbre ?
Elle m’adressa un clin d’oeil faussement désespéré :
-Question de malchance : mon père est prof. De maths, justement. Et il n’admet pas que je sois nulle, cela l’exaspère. Aussi, pour éviter les crises avec lui, je préférerais avoir un voisin brillant. Tu comprends ?
Bien sûr que je pouvais comprendre. Sorti du cours d’algèbre, je n’étais pas plus benêt qu’un autre, et peut-être même un peu moins¼ Visiblement, Aurélie allait profiter de ce que nous la désirions tous pour voisine, elle s’installerait à côté du plus brillant élève et copierait sur lui à chaque contrôle.
Pour le coup, je me félicitais d’avoir une mère qui était esthéticienne et qui m’avait confié avoir toujours été mauvaise en maths, ce qui la rendait forcément tolérante envers moi.
-Et ton père, insista Aurélie.
Je lui avouai que nous n’avions plus aucune nouvelles de lui depuis qu’il était allé se remarier, trois ans plus tôt, en Hollande ou en Afrique.
-Tu as de la chance, murmura-t-elle en guise de commentaire.
-Et ta mère, lui demandais-je.
Mais elle haussa les épaules sans répondre. J’en déduisis que sa mère devait être, elle aussi, prof de maths ou pire, et que ma nouvelle amie comptait parmi les filles les plus belles et les plus malchanceuses de la planète.
Histoire de lui venir en aide, je pris une décision héroïque :
-Est-ce que ton père donne des cours particuliers?
-Bien sûr, grimaça-t-elle. Je me demande même comment il trouve tellement de patience pour réexpliquer dix fois les mêmes principes à ses élèves, alors qu’avec moi il se met tout de suite à hurler que je suis débile !
-Justement, m’écriai-je sur un ton triomphant. Tu vas lui demander de me donner quelques leçons de rattrapage. Au bout d’une centaine, j’arriverai sûrement à améliorer mes performances et je pourrai te retraduire tout ce qu’il m’aura fait comprendre. A nous deux, nous serons les meilleurs, d’ici la fin de l’année, tu verras¼
Nullement convaincue, elle marmonna :
-Tu crois que ta mère va t’offrir des leçons chez un prof qui n’est même pas du collège ?
Je souris :
-Maman sera tellement stupéfaite par ma décision de progresser en maths, qu’elle sera prête à tout pour m’encourager.
Et, en effet, pour la première fois de ma vie, tout se passa comme je l’avais prévu. Maman fut ravie d’apprendre que je souhaitais enfin faire des progrès notables en algèbre, elle paya sans protester les cours particuliers du père d’Aurélie. Monsieur Chabanis fit preuve de beaucoup de patience pour m’expliquer et me réexpliquer les principes, les théorèmes et les axiomes. Aurélie, mise en confiance par mes progrès, délaissa Anthony pour s’asseoir désormais à côté de moi aux cours de maths et, moitié en copiant sur moi, moitié en écoutant mes explications, elle parvint à faire peu à peu progresser ses notes.
Bien sûr, cela me faisait perdre beaucoup de temps, pour suivre les cours particuliers de Monsieur Chabanis et résoudre les exercices qu’il me donnait, mais je tenais à ne surtout pas décevoir Aurélie, qui comptait sur moi.
Un soir, je remarquai sur le bureau de Monsieur Chabanis la photo d’une superbe femme blonde aux yeux noirs. Le prof surprit mon regard et me dit :
-C’était ma femme. La maman d’Aurélie. Je suppose que tu sais ce qui¼
-Non, lui répondis-je. Votre fille n’en parle jamais.
Il baissa la voix pour me confier :
-Elle est morte l’année dernière. C’est d’ailleurs à la suite de ce drame que j’ai proposé à Aurélie de changer de collège. Pour qu’elle puisse essayer d’oublier plus facilement, dans un environnement nouveau¼
-C’est réussi, m’exclamai-je. Elle ne répond même pas quand on lui pose des questions sur sa mère.
M. Chabanis eut un sourire triste :
-Tu ne peux pas comprendre. Ma femme a traîné une maladie terrible, ç’a été pénible pour nous tous et surtout pour Aurélie. Elle a besoin de ne plus en parler. Mais je sais qu’elle y pense souvent. Trop souvent, peut-être.
Croyez-moi ou non mais, au lieu de m’apitoyer sur Aurélie, je voulus profiter de son chagrin pour me rapprocher d’elle encore davantage. Je suppose que tous ceux qui se souviennent encore de la puissance de leur premier amour me comprendront. Bref, je proposai à Monsieur Chabanis :
-Aurélie arriverait plus facilement à être heureuse si elle sortait davantage. Ici, en face de vous qui éparpillez les photos de sa mère, elle ne pourra pas oublier, même si elle le souhaite. En revanche, vous pourriez peut-être l’autoriser à venir chez moi le mercredi après-midi. On préparerait nos devoirs ensemble, et on se ferait mutuellement réciter nos leçons.
Pour toute réponse, il ébouriffa mes cheveux :
-Tu aimes bien ma fille, n’est-ce pas ?
Cela suffit pour que je me sente immédiatement rougir, or c’est ce que je déteste le plus au monde. Avant que Monsieur Chabanis ne le remarque, je bougonnai :
-Bof¼ Elle est plutôt sympa, surtout pour une greluche !
-Et puis elle est jolie, insista-t-il en souriant.
Trop gêné pour poursuivre cette conversation, je lui demandai de me reparler du théorème de Pythagore, ce qui eut l’air de l’amuser, pour la première fois.
Le mercredi suivant, Aurélie m’annonça sans enthousiasme que son père lui avait permis de venir chez moi :
-Il m’y a même encouragée, comme s’il y tenait, grogna-t-elle avec cette moue adorable qu’elle avait toujours lorsqu’elle était fâchée et qu’elle n’osait pas le montrer.
Un peu déçu par sa réaction, je lui demandai pourquoi elle paraissait aussi triste de venir à la maison.
Elle finit par m’avouer :
-Je sais que ta mère et toi, vous n’êtes pas abonnés au câble. Alors que d’habitude, je passe le mercredi après-midi seule chez moi et je regarde des films.
-Et tes devoirs ?
Elle eut un sourire espiègle pour me confier :
-Quand mon père rentre de son lycée, je lui dis que j’ai essayé de les faire et que je n’y suis pas arrivée, du coup il se plonge là dedans et, tout en m’expliquant, il les résout. Je n’ai qu’à recopier¼ Tu ne fais pas pareil avec ta mère ?
J’avais honte d’avouer que non, mais Aurélie se montra indulgente :
-Bien sûr, si ta mère est esthéticienne, elle doit être beaucoup moins douée que mon père pour les maths. Tant pis pour toi...
Et ce jour là, pour la première fois de ma vie, j’eus un peu honte de Maman.
Mais très vite je me réjouis car Aurélie accepta quand même de passer à la maison. En fait, elle arrivait après le repas pris à la cantine et elle s’installait dans un fauteuil pour regarder une ou deux cassettes vidéo, pendant que je faisais ses devoirs et les miens. Lorsqu’elle vit que je possédais une dizaine de dessins animés, elle se moqua de moi en me traitant de bébé attardé, juste avant de décider :
-Tu peux quand même m’en faire visionner un ou deux. Il y a des années que je ne regarde plus ce genre de films, bien sûr, mais cela me rappellera ma petite enfance.
Deux heures plus tard, elle trépignait pour me réclamer la suite des aventures de la Petite Sirène.
Et moi, ravi de la voir enfin sourire sans arrière-pensées, je lui promis de faire acheter par Maman toute la série consacrée à la Petite Sirène, avant le mercredi suivant.
-N’aie pas peur, je reviendrai, promit Aurélie, comme si elle ne me rendait visite que pour me faire plaisir.
A vrai dire, cela m’importait peu, face au bonheur de passer la plupart de mon temps libre avec elle. Désormais, dans la classe de sixième B 3, la plupart des garçons commençaient à me jalouser, car ils remarquaient bien qu’Aurélie insistait pour s’asseoir à côté de moi, surtout les jours de contrôle.
-Il joue toujours avec une fille, ricanaient-ils d’un air faussement méprisant.
Mais je sentais qu’ils auraient tout donné pour être à ma place et pouvoir effleurer la magnifique chevelure d’Aurélie.
De sorte que j’aimais mon amie encore davantage. J’étais fier d’avoir réussi à nous rendre inséparables, aussi ne disais-je à personne qu’en contrepartie, elle m’obligeait désormais à lui faire tous ses devoirs.
Le pire, c’était les devoirs de français. Car là, il fallait bien que je prépare deux rédactions, une pour moi et une pour elle, les plus différentes possible pour que le prof ne risque pas de découvrir notre supercherie.
-Puisque tu es si attaché à Aurélie, tu n’as qu’à l’inviter à venir déjeuner dimanche avec son père, souriait Maman, qui venait toujours au devant de mes désirs les plus secrets.
Tout en cachant ma joie, par timidité, je me disais que j’avais beaucoup de chance de vivre un premier amour aussi protégé. Trois mois plus tard, il fut admis qu’Aurélie pourrait venir déjeuner chez nous chaque dimanche. Monsieur Chabanis apportait un énorme gâteau aux fraises, et moi qui déteste les fraises, je trouvais quand même que c’était bon puisque je mangeais ma part en regardant Aurélie. Parfois même je la laissais en dévorer la moitié, car elle était plus gourmande que moi, et surtout elle adorait les fraises.
-Ils s’entendent si bien, tous les deux, s’émerveillait Monsieur Chabanis. Grâce à votre fils, j’ai l’impression qu’Aurélie a retrouvé son sourire d’autrefois.
-Oui, ils sont très beaux ensemble, ajoutait ma mère.
Si je me souvenais de tous les romans où les héros sont obligés de se battre pour imposer leur amour, je me félicitais de ma propre chance. Il est vrai qu’Aurélie était si belle que je voyais mal comment on aurait pu me reprocher de l’aimer.
Elle était d’ailleurs la seule à ne pas être émue par notre histoire. Lorsqu’il m’arrivait, malgré les cours particuliers donnés par son père, d’avoir encore une note moyenne en algèbre, elle me traitait d’idiot et menaçait de ne plus jamais s’asseoir à côté de toi :
-A cause de ta stupidité, j’ai eu une note épouvantable en copiant sur toi. Si tu ne fais pas plus d’efforts, j’irai m’asseoir à côté de Julien Mazet !
Je savais qu’elle ne criait ainsi que pour me rendre jaloux. Car même si Julien Mazet était le meilleur en maths, il était toujours occupé à se gaver de chocolat à la noisette, au point qu’il ne s’intéressait pas à Aurélie. Il n’avait peut-être même pas vu qu’elle était belle. Bref, il n’y avait aucun danger qu’elle aille s’asseoir auprès de lui, ni pour qu’il la laisse copier sur ses devoirs. N’empêche que je fis des efforts supplémentaires. Et, à la fin du deuxième trimestre, j’avais presque atteint en algèbre le niveau de Julien Mazet.
-C’est inespéré, s’exclama ma mère en voyant mon bulletin scolaire. Monsieur Chabanis est un professeur merveilleux, puisqu’il arrive à t’intéresser aux maths.
Je souris d’un air modeste, tout en me disant que, sans Aurélie, il en aurait fallu davantage que Monsieur Chabanis pour me rendre l’algèbre passionnant¼
Bref, grâce à mes progrès, Aurélie n’envisagea même plus de s’asseoir ailleurs qu’à côté de moi. C’est seulement aux inter-cours qu’elle me délaissait un peu pour bavarder avec Matthieu, un garçon stupide, qu’elle admirait parce qu’il effectuait pour elle des démonstrations de rock acrobatique.
-Ah non, protesta ma mère, le soir où je lui demandai de me payer des cours de rock. Tu ne vas pas faire n’importe quoi pour plaire à cette gamine.
Je ne répondis pas. J’étais stupéfait par sa réaction, d’autant qu’elle avait toujours eu l’air d’approuver notre amour. Et j’aurais fini par m’inquiéter pour notre avenir, à Aurélie et moi, si Maman ne m’avait pas annoncé, trois jours plus tard :
-Cet été, nous pourrions partir en vacances à l’île de Jersey. Monsieur Chabanis y a loué une maison pour le mois de Juillet et, puisque tu ne peux pas rester deux jours sans ta copine, j’ai pensé que tu serais heureux de passer une partie des vacances avec elle. Non ?
-Hummm¼
Redoutant un piège, je répondis prudemment :
-Je ne tiens pas forcément à être avec elle, mais c’est vrai que j’ai toujours rêvé de visiter l’île de Jersey !
Le 10 Juillet 1990, nous sommes donc partis pour Jersey. Ce furent les pires vacances de ma vie, car Aurélie passait ses après-midi sur la plage de Montorgueil, à jouer de son charme face aux jeunes Anglais richissimes. Comme elle n’avait plus de devoirs à rendre, j’avais cessé de l’intéresser. Et, lorsque je demandai à ma mère la permission de rentrer à Paris, elle refusa :
-De toute façon, insista-t-elle, Aurélie ne s’est jamais intéressée vraiment à toi, aussi je ne comprends pas ta déception.
-Si tu le savais, pourquoi m’as-tu proposé de passer mes vacances auprès d’elle ?
A l’instant même où je posais la question, j’entrevis la réponse. Et malgré mes douze ans passés, j’eus envie de pleurer.
-Si tu n’étais pas obsédé par cette fille, murmura très doucement ma mère, tu aurais constaté que Monsieur Chabanis est un homme charmant. Et très seul. Nous avons sympathisé lorsque j’allais te chercher chez lui après vos cours particuliers et nous¼ Bref , nous¼
Comme elle n’arrivait pas à finir sa phrase, je conclus :
-C’est pour lui que tu invitais Aurélie à déjeuner avec nous le dimanche ?
-Oui, avoua-t-elle. Un homme seul a du mal à faire la cuisine. Et puis, sa fille et toi, vous étiez heureux, non ?
Inutile de répondre. J’étais trahi de toutes parts.
Aujourd’hui, ma mère vit heureuse auprès de Monsieur Chabanis. Quant à moi, à force de me surpasser pour tenter d’émouvoir la beauté blonde d’Aurélie, j’ai seulement réussi à devenir …professeur de mathématique ! Car ma somptueuse première amie est toujours demeurée aussi irrésistible que lointaine. Après avoir raté trois fois son baccalauréat, elle a continué à jouer de son charme auprès des hommes fortunés qu’elle croise et qui suivent aussitôt sa route.
Mais je ne lui en veux même plus, puisque la mère de mes deux enfants s’appelle Isabelle et possède elle aussi une lumineuse chevelure blonde, qui met en valeur ses yeux noirs aux intenses reflets tragiques?
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