DERNIER AMOUR A NAPLES

Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 3015

de l’hebdomadaire NOUS DEUX (12 Avril 2005)

 

Ce soir-là dans la baie de Naples, à bord du superbe yacht le Cesare Duce, la plupart des invités étaient ivres de champagne. Pourtant, en voyant arriver à l’improviste la belle Sophia Candiano, l’épouse de Vittorio Candiano, le célèbre magnat de la presse italienne, ils eurent le réflexe de se redresser. Presque à leur insu, ils cessèrent aussi de parler et de gesticuler, pour observer l’attitude qu’aurait l’orgueilleuse Milanaise en découvrant son mari aux côtés de sa maîtresse.

Sans doute espéraient-ils un esclandre, assorti si possible d’insultes, de menaces de meurtre ou de suicide, mais Sophia Candiano avait grandi dans un pensionnat où elle avait reçu une éducation toute britannique. Aussi n’eut-elle aucun mal à décevoir ses faux amis, en souriant à l’actuelle maîtresse de son mari :

-Isabella, ma chérie, pourquoi m’a-t-on caché que tu étais invitée ? Pour me faire une merveilleuse surprise, bien sûr ! Je tiens à te féliciter pour ton nouveau film, je l’ai vu en avant-première et tu y es magnifiquement habillée. Je suis sûre que le jury du festival de Berlin partagera mon opinion…

La jeune actrice Isabella Gardiera répondit sur le même ton enjoué à la femme de son amant et, bientôt, toutes deux se prirent à leur jeu au point d’échanger fausses confidences et vraies rumeurs.

Indifférent à leur bavardage mondain, Vittorio Candiano fumait un cigare.

-Tu es un homme heureux, sourit Antonio, l’un des rares amis d’enfance avec qui il avait conservé des relations.

A quarante-six ans, Vittorio dirigeait un important groupe de presse, dont les articles suffisaient parfois à faire chuter la bourse. Il habitait une somptueuse villa dans la campagne milanaise et, depuis trois mois, il entretenait une liaison avec l’actrice Isabelle Gardiera. La plupart des Italiens l’admiraient, parce qu’il représentait l’image achevée de la réussite sociale. Sur le Cesare Duce, ce sentiment d’envie avait dû croître encore depuis quelques minutes, depuis que l’on savait que sa femme acceptait en souriant ses incartades.

Personne ne songeait que, si Sophia Candiano ignorait la jalousie, c’était parce qu’elle n’aimait plus son mari et restait surtout attachée aux privilèges que lui offrait cette union officielle.

Vittorio était trop bien éduqué pour laisser deviner son amertume. Il continua donc d’échanger des banalités avec ses invités. Mais, aux premières lueurs du matin, tandis que les derniers convives quittaient le yacht en titubant, il éprouva le besoin lui aussi de s’échapper. De toute façon, personne ne remarquerait son absence, puisque sa maîtresse était déjà repartie, et sa femme passerait la journée à dormir dans sa cabine, assommée par un mélange d’alcool et de somnifères…

-Mais, je n’ai pas prévu de voiture pour vous, objecta son secrétaire, affolé.

Vittorio eut un geste d’indifférence :

-Peu importe. J’ai besoin de marcher. Je visiterai Naples à pied, comme un touriste.

Vingt minutes plus tard, en effet, Vittorio Candiano déambulait à travers le quartier le plus populaire de Naples, celui qui longe le port et qu’on appelle la Margellina. L’ambiance pittoresque de la ville le ravissait, il s’amusait du linge coloré étendu aux fenêtres, comme des grognements des jeunes gens qui n’hésitaient pas à se quereller en pleine rue, malgré l’heure matinale et les protestations virulentes des voisins… Vittorio entrevoyait derrière ces gestes une spontanéité, un naturel auquel on n’est plus habitué dans les grandes villes comme Milan, et surtout pas dans l’univers raffiné et perfide de la grande presse.

Il cessa de sourire lorsqu’il entendit des hurlements. Cette fois, il ne s’agissait plus de simples insultes, ni même d’appels au secours, non c’était différent : la femme qui criait était dotée d’une voix forte, qu’elle n’essayait même pas de maîtriser tant elle était en fureur.

-Tu es ignoble, hurlait-elle à celui qui devait être son compagnon. Mais ne crois pas que tu vas tout m’imposer. Je m’en vais…

L’homme répondit à voix basse par quelques mots, qui ne servirent qu’à accentuer la colère de sa compagne. Elle hurla :

-Ah non, je te quitte à jamais ! A l’avenir, tu n’auras qu’à te mettre en ménage avec l’une de tes p…

Indifférente aux battements de persiennes et aux protestations des voisins éveillés en sursaut, elle claqua la porte et descendit l’escalier sans chercher à maîtriser ses sanglots. Vittorio vit s’entrouvrir la porte en bois vermoulu d’un vieil immeuble et, aussitôt, il reconnut la jeune femme qui en sortait. Il la reconnut à son allure désespérée, presque tragique, plus encore qu’à l’intensité de ses sanglots. Car elle avait une démarche furieuse, ou bouleversée, qui trahissait en elle un immense désarroi et donnait envie de la consoler. Si toutefois c’était possible.

Vittorio avait beau se répéter qu’il ne pouvait pas se permettre de l’aborder sans la connaître, il s’avança tout de même vers elle. Et lorsqu’elle le dévisagea, visiblement étonnée de rencontrer un homme en smoking blanc à 6 heures du matin dans les rues de Naples, il bredouilla presque malgré lui :

-Puis-je vous aider ?

Elle hésita un instant avant de lui répondre :

-Peut-être. En me conduisant vers la via Toledo, c’est là où habitent mes parents. Je dois rentrer chez eux. Sinon, je vais tuer un homme…

Elle s’exprimait comme dans les feuilletons télévisés, et pourtant il la sentait sincère. Prête à abattre réellement son amant.

Aussi ne lui avoua-t-il pas tout de suite qu’il n’avait pas de voiture disponible ce matin-là. Il lui expliqua qu’il avait quitté son yacht à l’improviste, et ce fut seulement lorsqu’elle dressa vers lui des yeux étonnés, déjà émerveillés, qu’il comprit qu’elle commençait à se calmer et qu’il osa lui rappeler :

-On ne tue pas les gens sans un motif important.

Aussitôt, elle retrouva son air furieux et obstiné :

-Ah, parce que vous avez écouté ma conversation ? !

Il sourit :

-Tout le quartier vous aura entendue.

Sans rancune, elle éclata de rire, juste avant de se remettre à sangloter :

-Fausto est un salaud. Pour lui, j’ai quitté la maison de mon père et le commerce de coiffure où je travaillais. Et cependant, il n’a rien trouvé de mieux à faire que me tromper. Avec une de mes meilleures amies, que je lui ai présentée moi-même ! Vous comprenez maintenant que je veuille le tuer ?

Plutôt que lui répondre, il préférait la regarder. De toute façon, elle ne retournerait pas ce matin chez son amant pour l’abattre, aussi avait-il le temps de s’imprégner de l’image superbe, sauvage et indomptable, de cette jeune femme idéaliste et amoureuse. La première qu’il croisait depuis bien longtemps…

-Comment vous appelez-vous, demanda-t-il, en effleurant délicatement son poignet.

-Antonella Focardi. Il faudrait que je… Non, il vaut mieux que je…

Après plusieurs hésitations, elle décida d’aller dormir chez sa tante :

-Mon père ira tuer Fausto si je lui raconte tout. Et ce matin, je suis trop en colère pour me taire. Mais avec Tante Rosaria, je puis parler librement, car elle comprend tout et ne se fâche jamais. Il faut vous dire que c’est une femme qui a été très belle, autrefois. Et qui en a …profité ! Au point de conserver de sa jeunesse une certaine sagesse. Vous me comprenez ?

Non. Mais peu importait. Vittorio songeait seulement que, malgré ses menaces, Antonella cherchait déjà à protéger son amant de la colère de son père.

-Est-ce que la famille de votre tante ne risque pas de vous trahir ? Son mari ou ses enfants…

Antonella haussa les épaules :

-Tante Rosaria est restée célibataire. A Naples, on n’épouse pas les femmes comme elle.

Bien sûr, il aurait pu aussi l’inviter à venir se détendre sur son yacht. Cela lui aurait permis de mieux la connaître, l’entendre plus longtemps évoquer sa famille et son compagnon, avec cette flamme dans le regard qui la rendait si différente des jeunes femmes ravissantes et distinguées qu’il côtoyait à longueur d’année et qui se ressemblaient toutes…

Mais justement, il refusait qu’Antonella se mêle à Sophia ou Isabella et qu’elle risque de prendre modèle sur elles au point de finir par leur ressembler. Instinctivement, il savait que, pour elle-même bien plus que pour lui, il fallait qu’elle reste libre et sauvage, telle qu’elle lui était apparue cette nuit.

-Vous pourriez m’accompagner, suggéra-t-il. J’avais justement décidé de visiter Naples. Je vais réserver pour nous deux chambres séparées dans un hôtel et vous me ferez découvrir votre ville.

Elle ne répondit pas. Mais une heure plus tard, elle l’emmenait chez Rosaria :

-Ma tante loue des chambres, et elle serait furieuse si elle apprenait que j’ai logé dans une autre « albergo » que la sienne. En plus, elle cuisinera pour nous. Elle fait la meilleure soupe de moules de Naples !

Il accepta, comme il aurait accepté n’importe quoi pour rester auprès d’Antonella et la voir sourire.

A vrai dire, il fut surpris par « l’albergo » de la tante Rosaria, qui n’était qu’une vieille maison étroite et délabrée, située dans un recoin de la piazza Sannazaro, au cœur du quartier de la Mergellina. L’accueil que lui réserva la vieille femme n’était guère plus engageant : elle lui lança un regard méfiant, tout en parlant à sa nièce en dialecte napolitain.

-Elle se demande pourquoi je suis avec vous et non avec mon fiancé, retraduisit Antonella, tout en se rapprochant de lui, peut-être parce qu’elle le sentait gêné.

Il aurait voulu dire un mot contre Rosaria, mais il était surtout ému par l’attitude d’Antonella qui avait spontanément cherché à le rassurer. C’était là une attitude protectrice qu’aucune de ses superbes maîtresses n’avait jamais eue avec lui.

-Je me moque de ce que pense ta tante, sourit-il à Antonella. J’aime déjà Naples, et j’y suis bien, puisque je suis près de toi.

Ils déposèrent leurs bagages dans deux chambres situées au troisième étage, puis ressortirent sous prétexte de visiter la ville. Antonella était un excellent guide car non seulement elle connaissait bien Naples, mais surtout elle voulait la faire aimer. Quand Vittorio s’étonna de voir un panier descendre de la plus haute fenêtre d’un immeuble, Antonella lui expliqua que ce n’était jamais que …de la contrebande :

-Toutes les femmes n’ont pas eu la chance de s’enrichir comme Tante Rosaria. Celles qui ne sont pas mariées ont bien besoin d’arrondir leurs retraites en revendant des cigarettes récupérées en fraude. Elles font descendre le paquet dans le panier, et le jeune qui récupère le tabac en remet le prix dans le panier.

-Et s’il ne paie pas, demanda Vittorio, amusé.

Antonella lui jeta un regard sombre. Elle paraissait choquée que d’emblée il songe à contourner les usages, mais pour ne pas le blesser, elle répondit très vite :

-Par chez nous, personne ne prendrait le risque de mourir pour économiser le prix d’un paquet de cigarettes.

Il ne savait pas si elle plaisantait…

Et d’ailleurs, peu lui importait. Il la suivait docilement dans les ruelles les étroites de la ville comme dans les plus lumineuses des églises. Même s’il n’écoutait pas tout ce qu’elle disait, trop attentif qu’il était aux intonations musicales de sa voix, il aimait l’entendre parler en italien et, le soir, à la table de tante Rosaria, il aimait plus encore écouter les deux femmes discuter en un mystérieux et incompréhensible dialecte napolitain.

La tante persistait à l’ignorer. Sans mot dire, elle lui servait de délicieuses pizzas débordantes de mozzarella ou de petits poulpes frits. Mais quoi qu’il se passe, Vittorio était heureux. Inexplicablement.

Ce fut seulement le troisième soir qu’en montant se coucher, il osa emprisonner Antonella entre ses bras. Contrairement à ce qu’il redoutait, elle répondit à son baiser. Alors, au lieu de l’attirer dans sa chambre, il s’abandonna à lui dire qu’il l’aimait, qu’il allait divorcer et l’épouser, pour l’installer à ses côtés, à Milan.

-Oui, répondit-elle très vite, sans même réfléchir. Oh oui ! Nous serons heureux et je… Non !

Elle s’interrompit, il ne sut jamais ce qu’elle avait failli laisser échapper.

Dès le lendemain, Rosaria envoya sa nièce acheter du poisson, car elle devait accueillir dans son auberge une famille de touristes. Restée seule dans la cuisine avec Vittorio, elle en profita pour l’interroger :

-Ainsi, vous voulez vraiment épouser Antonella !

-Mais… vous parlez italien, s’étonna Vittorio.

-Seulement quand je le veux. Or jusqu’ici, je n’avais rien à vous dire. Aujourd’hui, je suis inquiète pour ma nièce.

Pour tenter de rassurer Rosaria, il lui décrivit la vie qu’il menait à Milan, la renommée de son groupe de presse, le luxe de sa villa, etc… La vieille Napolitaine l’écoutait sans répondre. Lorsqu’il eut fini, elle insista encore :

-Je vous ai dit que je m’inquiétais de son bonheur, pas du confort que vous pouvez lui apporter ! Antonella est jeune, elle a été blessée par une trahison de Fausto, son fiancé, elle a d’autant plus souffert qu’elle l’aimait. Mais est-ce qu’elle vous aime aussi ?

Désarçonné par la logique de Rosaria, Vittorio affirma, plus doucement :

-Elle a promis qu’elle m’aimerait.

La tante balaya ses mots d’un grand geste de la main :

-Moi aussi, j’ai promis ça. Et à plusieurs hommes, même. Ils m’adoraient, ils avaient un peu d’argent, alors… Ce sont eux qui m’ont permis d’acheter cet hôtel. N’empêche que j’ai toujours regretté Anselmo le cabaretier. Mon premier amour. Celui que j’ai quitté parce qu’il était encore plus pauvre que moi.

Elle hésita encore avant d’oser confier :

-Je ne voudrais pas qu’Antonella éprouve en vieillissant autant de regret que moi. Or, elle aime Fausto.

Vittorio ne répondit pas. Et il n’échangea plus un mot avec Rosaria avant le retour de la jeune femme.

Les deux amants s’échappèrent dans Naples. Sur la terrasse de l’ancienne prison politique Sant Elme, d’où ils observèrent la baie de la ville et le Vésuve, Antonella se laissa embrasser. Mais Vittorio, alerté par les propos de la tante Rosaria, remarqua que les yeux de la jeune fille ne s’illuminaient d’aucune passion lorsqu’il s’approchait d’elle. Malgré lui, il se dit qu’elle avait sûrement un tout autre regard lorsqu’elle se trouvait contre Fausto. Et il ne pouvait même pas lui en faire le reproche, puisqu’elle avait toujours fait son possible pour se montrer souriante, douce et agréable, à défaut d’être amoureuse. Lui seul avait été naïf, de croire qu’il lui suffisait de s’intéresser à une fille aussi belle que pauvre, pour qu’elle éprouve une reconnaissance qui se transforme en amour.

-Et encore, soupira Vittorio, je sais que si Antonella s’est servie de moi pour se venger de son compagnon, elle l’a fait inconsciemment. Si je l’épousais, elle s’efforcerait de rester la meilleure et la plus fidèle des femmes, et c’est seulement dans le secret de son cœur qu’elle continuerait de regretter Fausto.

A cet instant, il possédait encore le choix, pour lui-même comme pour elle. Il pouvait toujours tenir sa promesse, l’emmener à Milan et faire d’elle la plus aimée, la plus gâtée et la plus …triste des dames ! Mais il pouvait aussi lui rendre sa liberté. Dans ce cas, il souffrirait à jamais de la perdre, et peut-être qu’elle aussi le maudirait pour lui avoir laissé espérer un avenir luxueux et facile, mais du moins retrouverait-elle très vite un bonheur stable et définitif dans les bras de Fausto.

Il s’aperçut qu’au fond de lui, il avait déjà pris sa décision.

Le soir même, il prétendit qu’il devait rentrer à Milan plus tôt que prévu.

-Une grève se prépare au siège de mon journal. Moi seul puis aller résoudre ce conflit.

Peut-être Antonella eut-elle à cet instant l’intuition qu’il lui mentait, car ses yeux se voilèrent de larmes. Néanmoins, elle proposa :

-Je préfère rester à Naples, le temps de parler de toi à mes parents. Comment nous retrouverons-nous ?

Il sut alors qu’elle insisterait pour partir avec lui, jusqu’à ce qu’il la blesse, et courageusement il expliqua :

-Non, Antonella, toi tu ne pars pas. Je suis conscient d’avoir eu beaucoup de chance de te rencontrer, mais il vaut mieux nous séparer ici. A Milan, tu n’aurais pas ta place. Nous menons là-bas une vie de fou, à courir sans cesse…

-Justement, je t’aiderai à te détendre, conclut-elle avec sa logique toute protectrice.

-Non, répéta Vittorio sur un ton plus autoritaire. A Milan, moi aussi je retrouve mes habitudes et ce rythme de forcené. Même si tu avais la patience de m’attendre jusqu’à minuit pour dîner en face de moi, même si tu m’accompagnais dans toutes ces soirées mondaines où je m’ennuie à saluer des gens qui ne m’intéressent pas, il y aurait bien un moment où tu te demanderais de quel droit je me permets de gâcher ton existence et où tu me ferais des reproches. Tu regretterais ta ville et tu ne me pardonnerais plus de t’avoir arrachée à ton quartier de la Margellina, à la tendresse de ta famille et de ta tante Rosaria. Tu aurais raison, d’ailleurs…

Cette fois, Antonella comprit qu’il était en train de rompre. Et ce fut sur un ton plus amer, déjà vaincu, qu’elle protesta :

-Quand nous nous sommes rencontrés, tu savais bien que je n’étais pas milanaise, que j’étais riche seulement de l’affection de mes parents. Et cela ne t’a pas empêché de faire pour nous deux toutes sortes de projets, mariage, vie commune, etc…

-J’ai eu tort, admit brièvement Vittorio.

-Non, insista-t-elle avec rancune. Au contraire, tu avais raison. Tu pensais me séduire plus facilement en m’éblouissant de toute ta fortune et en me laissant espérer le luxe… En fait, tu n’as aucune confiance dans les sentiments des autres, et tu as manœuvré avec la seule envie de profiter de moi… N’est-ce pas ?

Il ne pouvait répondre. Antonella interpréta son silence comme un aveu et, plus humiliée que désespérée, elle courut se réfugier au rez de chaussée, dans la cuisine de la tante Rosaria, pour lui cacher ses larmes. Lui, il aurait bien voulu la poursuivre dans l’escalier pour la consoler, lui dire qu’en effet il n’avait jamais cru aux sentiments des autres, mais qu’il avait fait une exception pour elle.

Ce fut seulement par amour pour elle qu’il se contraignit à rester dans sa chambre, à rassembler ses affaires dans ses bagages avec des gestes aussi précis que possible. Il devinait qu’Antonella se sentirait trahie, humiliée et blessée, et qu’elle ne pourrait plus jamais lire son nom dans un magazine sans le maudire, mais du moins l’oublierait-elle plus vite. Bientôt, elle retournerait auprès de Fausto. Puisqu’elle aimait ce garçon, elle lui pardonnerait l’aventure qu’il avait eue. D’autant plus facilement que maintenant, elle l’avait trompé, à son tour.

-Elle se sentira vengée, ils formeront un beau couple, jeune et bien assorti. Ils seront aussi heureux que possible. En somme, tout s’achève pour le mieux, conclut-il.

Pourtant, il savait par avance que jamais il n’oublierait la fougue et la sincérité d’Antonella, cette jeune femme ardente, prête à tuer son amant et soucieuse l’instant d’après de le protéger de la colère de sa famille. Il savait aussi que partout, sur son yacht comme dans sa somptueuse villa, face à son épouse ou aux plus belles actrices d’Italie, il retrouverait encore intacte sa mélancolie, chaque fois qu’il penserait à Antonella, avec le sentiment d’être passé à côté de sa propre vie.

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